Manifeste Zomia - Tips de voileux #3 : Quittez votre confort (et partez naviguer)
Avec l’essor économique du XXème siècle, la recherche du confort a été élevée en valeur cardinale. Les campagnes furent délaissées au profit des usines, puis les machines délocalisées reléguant nombre d’individus au chaud dans des bureaux. Pourtant – alors qu’il est de notoriété publique que le bateau est le moyen le plus lent, le plus cher et le plus inconfortable de se rendre d’un point à un autre – certains s’escriment encore à parcourir à la voile des océans hostiles…
Pourquoi quitter son confort ? et partir naviguer…
Se remettre en mouvement
Reprendre le contrôle
Rester à l’écoute pour progresser dans l’incertitude
Innover
Se sentir vivant
(Le sujet du confort me travaille depuis plusieurs années et différents événement ont récemment catalysé ma réflexion. Cet article, conçu d’abord comme un retour d’expérience, s’est enrichi et affiné pour devenir un manifeste. Les lignes qui suivent décrivent pourquoi et comment nous travaillons.
Zomia est un cabinet de conseil qui vous fait prendre le large pour déployer votre potentiel et innover par le design.)
L’un des caractères propres à l’espèce humaine est de s’adapter à tous les environnements, même les plus inhospitaliers. On trouve des êtres humains partout, dans les glaces, dans les déserts, dans l’espace. Cette capacité d’adaptation nous a permis d’imaginer des outils et des solutions pour pallier aux manquements de Mère Nature. Sans fourrure ni griffe nous ne serions pas aller bien loin. Mais notre mauvais tirage à la loterie du vivant fut salvateur : tirant partie de notre cerveau pour compenser nos lacunes, chacun eu bientôt son paletot et ses silex pour s’élancer vers le nord… et ce n’était qu’un début.
Notre capacité d’imagination est née de l’adaptation à la contrainte. Sans contrainte pas de motivation pour faire autrement. Sans contrainte pas de raison suffisante pour quitter l’univers connu et explorer de nouvelles possibilités. Sans contrainte nous aurions continué à pousser des osselets tranquillement. Mais il y a toujours des contraintes – nous sommes Français… Les 1ers Homos Erectus quittant leur berceau africain étaient sûrement doués d’une grande curiosité (les amenant à se jeter à l’eau), les contraintes de géographie, de faim, de rivalités, etc. ont probablement décuplé leur motivation.
Depuis deux siècles, le moteur principal du développement de l’Humanité n’est plus la contrainte mais la quête du confort. Et ce confort est un Pharmakon – notion chère à Bernard Stiegler – ce qui signifie que c’est à la fois “Le remède” et “Le poison”. La quête du confort – portée par le développement de la technique – est le remède à tous nos maux : développement de la médecine et de l’espérance de vie, éradication de la faim, construction de logements facilitée, production en masse pour un accès généralisé, etc. Mais ce confort, quand on l’obtient, est aussi un poison : l’effort devient vulgaire et la facilité acceptable, la solidarité disparait au profit de l’intérêt personnel, il nous rend aveugle, peureux et apathique…
Aujourd’hui, le confort de nos flux continus fait disparaître les contraintes de nos vies mais aussi notre contrôle sur elles. Choisis ou imposés, notre motivation pour envisager d’autres possibles s’est émoussée. Quitter notre confort c’est sortir du canapé, lâcher cette routine paralysante, et reprendre le contrôle de nos quotidiens.
Le bateau à voile est l’incarnation parfaite de l’inconfort choisi. Les expériences qu’il permet de vivre en font un formidable catalyseur pour se remettre en mouvement et reprendre le contrôle de nos vies, pour rester à l’écoute afin d’apprendre à agir dans l’incertitude et innover en imaginant de nouvelles possibilités. Finalement, un voilier est un outil formidable pour prendre du recul, progresser et ouvrir les yeux afin de revenir vivre pleinement.
1. Se remettre en mouvement
Quitter son confort c’est se remettre en mouvement.
Dans toutes actions que l’on entreprend, le 1er pas est toujours le plus difficile, c’est le départ dans l’inconnu. On sort de sa fameuse “zone de confort”… Les étapes suivantes en revanche se succèdent facilement : avec de l’élan, on prend les difficultés les unes après les autres. Le gros sujet c’est donc de parvenir à dépasser ce 1er obstacle.
Le bateau, lui, est perpétuellement en mouvement, c’est dans sa nature. Posé sur l’onde, sa posture même de repos est dynamique. Et lorsqu’il file sur la crête des vagues, il maintient un déséquilibre entre ciel et mer qui le projète en avant.
Le bateau nous met viscéralement en mouvement
Lorsque l’on monte à bord d’un voilier, il nous communique ce dynamisme. Il nous le transmet dans une expérience très intime, qui nous touche au plus profond de notre être, en créant un léger déséquilibre. Pour le compenser, nous réalisons inconsciemment un léger balancement de réajustement. C’est presque imperceptible… mais ça y est… nous sommes en mouvement.
Le 1er pas est dur, mais le bateau a cette propriété de nous mettre viscéralement en mouvement. Lorsque l’on embarque, la kinesthésie – cette capacité à percevoir le mouvement qui est peut-être notre 1er sens – nous met en mouvement pour retrouver l’équilibre. Comme dans le ventre de notre mère, nous prenons conscience, à la fois qu’il se passe quelque chose d’inhabituel et que c’est extérieur à nous. Le mouvement de la mer nous ramène à la vie et nous fait entrer en contact avec le monde.
En ressentant le mouvement de cette altérité dans laquelle nous sommes immergé, nous redevenons individu conscient. Conscient de nous-même et conscient de cet environnement aux mouvements indépendants de notre volonté.
Je ressens donc nous sommes.
Ce mouvement nous sort de notre torpeur et nous éveille à une réalité : nous sommes un élément d’un écosystème qui nous dépasse. Cet écosystème suit sa propre évolution mais nous réalisons que nous sommes intimement liés car, par l’expérience de la mer, nous ressentons au plus profond de notre chaire ses modifications.
Ce mouvement nous pousse à reconsidérer les évidences
Nous sommes de nouveau conscient.
Nos vies défilent. Nous courons après le temps pour réaliser tous nos objectifs organisés dans un agenda minuté. Ce rythme est devenu notre routine. La vitesse nous permet d’éviter l’imprévu – ces événements qui nous surprennent en ouvrant des possibilités auxquelles nous n’étions pas préparées – et les situations inconfortables qui en découlent.
Nous sommes ouverts aux autres mais en temps voulu et selon nos conditions. Pas d’imprévu, pas de contrainte, pas de déception, l’objet de nos désirs doit se conformer à nos souhaits. Et le numérique nous donne le pouvoir de configurer des altérités sur-mesure… Mais qu’est-ce qui peut ressortir de ces rencontres préméditées à part la flatterie de nos égos et une illusion de contentement ?
Quitter son confort permet de remettre en question notre rapport à l’autre et de nous ouvrir à l’inattendu.
En mer, le mouvement est inhérent à l’ensemble de notre environnement. Tout le bateau bouge, tout est dynamique, très concrètement, et ça nous pétrifie. Après la nécessité de retrouver notre équilibre, une certaine immobilité dynamique, le bateau nous met face à une 2ème prise de conscience : nous devons réévaluer nos interactions les plus élémentaires avec notre environnement.
Tout bouge ! Si je laisse mon verre sur la table, il finira par terre ! Je ne peux pas abandonner les objets tels quels au risque de créer le chaos. Le mouvement autour de nous nous pousse à reconsidérer les évidences. Notre immobilité dynamique, active donc, nous ouvre les yeux pour faire attention à tout notre environnement en mouvement.
Les manières que nous employions à terre – où l’environnement semble immobile tellement nous nous pressons, sont-elles toujours pertinentes maintenant, en mer ? Ce sont des gestes très simples, élémentaires, que nous ne questionnions plus. Ils nous confrontent alors comme des évidences : nous ne savons plus faire… Mais plus personne pour nous réapprendre à marcher. Alors comme des enfants on essaye, on se trompe, on regarde comment font les autres, on recommence… parfois le geste passé fonctionne encore un peu, parfois il faut le réinventer, mais il est nécessaire de le reconsidérer.
Il en est de même avec nos équipiers. L’inconfort de la situation nous rend maladroit, imparfait, surprenant. Nous adoptons d’autres comportements et découvrons des facettes dissimulées de nos personnalités, touchantes, attachantes même.
Nous retrouvons notre acuité pour ré-entrer dans le monde
En remettant en question notre rapport à l’autre nous interagissons de nouveau avec un regard neuf, et nous pouvons nous ouvrir à une rencontre inattendue.
Prendre la mer c’est retrouver une immobilité dynamique, nous sommes mis en mouvement mais arrêté par les limites du bateau et l’éloignement de la côte. Ce dynamisme nous rend alerte et l’immobilité libère notre attention. Nous retrouvons notre acuité originelle pour sortir de notre bulle et ré-entrer dans le monde. Ce départ en mer n’est pas une fuite, comme le montre Rémy Oudghiri “la fuite hors du monde n’est rien d’autre qu’une façon d’y entrer vraiment”. Ce départ est un bain qui nous décrasse, nous débarrasse du superflu pour repartir de l’essentiel, du très concret.
Une fois cela réalisé, nous pouvons nous mettre en action, à la manœuvre, et prendre le contrôle du bateau. Celui-ci devient notre medium pour rencontrer le monde.
2. Reprendre le contrôle
Quitter notre confort nous permet de reprendre le contrôle.
En montant sur un bateau, en nous mettant en mouvement nous quittons le statut de spectateur passif pour devenir acteur. Paradoxalement, cette mise en action commence par un lâcher prise. Nous acceptons ce mouvement qui nous dépasse, nous nous laissons porter par lui, nous l’accompagnons, et il nous donne l’élan pour reprendre la maîtrise des événements.
Quittez nos repères permet de retrouver des ancrages en nous-même.
En montant sur un bateau, nous perdons absolument tous nos repères. Tous nos ancrages volent en éclat. Nous quittons notre vie, notre foyer, nos amis, notre voiture et notre boulot. Nous quittons nos repères quotidiens, notre maison, l’école des gamins et la route du bureau, notre poulet du dimanche et notre série du soir. En mer nous perdons la terre, dernier repère à l’horizon. Nous perdons même l’équilibre. Nous perdons tout… C’est absolument effrayant ! Mais nous ne sommes pas seul. Et surtout, Nous sommes.
Lorsque l’on perd ses repères on se recentre sur la seule chose qui nous reste : Nous. Alors on se regarde, on s’ausculte, on se questionne et on s’écoute…
Si je n’ai plus rien, que me reste-t-il ? Je me comportais de cette manière depuis si longtemps mais est-ce que j’en ai vraiment envie maintenant que rien ne m’y oblige ? Quelles étaient les valeurs que je partageais avec les autres ? Quelles sont celles qui me tiennent à cœur personnellement ?
Le bateau nous donne une carte blanche pour Nous questionner. Qui sommes-Nous ? Alors on commence à construire nos propres réponses. Ces réponses deviennent nos repères, des bases solides ancrées dans ce que nous sommes de plus intime, car loin du tumulte du quotidien nous avons la possibilité de Nous écouter. Et ce qui est génial c’est que ces bases ne dépendent que de nous. Même lorsque nous sommes loin de ce que nous connaissons et de ceux que nous aimons, ces bases sont avec nous, nous voyageons avec. Auparavant, si un de nos ancrages extérieurs vacillait, c’est nous qui vacillions avec. Quittez nos repères permet de retrouver des ancrages en nous-même. Nous pouvons aller de l’avant et redevenir acteur.
Si le mal de mer commence à vous taquiner l’estomac, il n’y a rien de plus efficace que de prendre la barre. Vous prenez le contrôle de la manœuvre, vous analysez l’environnement et vous vous projetez vers l’objectif. Bref, vous arrêter de subir passivement et devenez acteur du moment présent.
Faire des blagues pour détendre l’atmosphère, prendre du recul en s’occupant de la liaison carte/paysage, se saisir des écoutes en vue de la prochaine manœuvre, boire du coca ou manger du gingembre donne également de bons résultats sur les estomacs. Des actions pour reprendre prise sur le réel…
Rester en mouvement, pour ne pas partir à la dérive
Lorsque vous êtes en mouvement vous avez la capacité d’agir – ou de réagir – vite. Avant de réaliser une quelconque manœuvre en bateau il est nécessaire d’avoir de l’erre, de l’élan. Sans cela, même avec les meilleures intentions et méthodes du monde, votre bateau ne réagira pas. C’est une règle lors d’un virement de bord comme pour une manœuvre de port : gardez toujours de l’erre, sinon vous partez à la dérive et ne serez que spectateur de la suite des événements…
Dans nos vie de terriens, nous perdons parfois la perception du mouvement global du monde qui nous entoure. Notre monde change, les paramètres qui le composent varient, continuellement. Nous le savons bien pourtant, nous sommes continuellement bombardés d’informations, de data suivant les évolutions d’une infinité de paramètres. Ce qui était vrai hier ne l’est plus nécessairement aujourd’hui, alors imaginez demain… Notre environnement évolue, nous devons nous adapter, adopter une posture dynamique pour évoluer avec lui. Pas tout changer, non, mais questionnez régulièrement les évidences pour s’assurer que les bases sont toujours saines avant de construire dessus.
Lorsque l’on fait l’autruche face aux réalités, on s’aveugle pour ne pas avoir à se mettre en inconfort. On se dit que si on ne réagit pas à la crise qui se prépare, peut-être qu’elle n’arrivera pas. On reste sourd aux Cassandre, on maintient tant bien que mal un statu quo acceptable, pour éviter d’affronter une réalité que nous refusons de regarder en face. Quelles conséquences aura-t-elle sur nous ? Combien de principes devrons-nous remettre en question ? Et cet inconnu nous effraie, alors nous préférons ne pas l’envisager.
Pour prendre l’exemple de nos interactions dans une entreprise, les tensions silencieuses viennent parfois empoisonner nos équipes… Certains collaborateurs deviennent des adversaires, avant un désengagement progressif du projet collectif (quiet quitting). Les membres de notre équipe sont pourtant ce qui lui donnent toute sa valeur. Les liens qui nous unissent décuplent nos compétences individuelles et nous portent vers les sommets. Mettre les conflits en lumière pour les désamorcer est très inconfortable mais cela évite en réalité le délitement de l’existant et la disparition de ce que nous construisons ensemble. Le long fleuve tranquille doit subir quelques remous pour ne pas engloutir nos personnalités respectives.
Quitter le confort apparent du cadre de l’entreprise permet de mettre à jour certaines réalités avant qu’elles ne s’enveniment. En mer, les émotions et la fatigue font sauter les filtres que l’on s’impose à terre. La vie n’est pas monotone, et c’est parce qu’on la risque chaque jour que l’on n’a pas de temps à perdre à taire nos différents. Évidemment, il faut être diplomate et ravaler sa susceptibilité, mais on ne parle jamais trop ni trop tôt quand on partage nos ressentis. Et plus on parle plus il est facile d’aborder tous les sujets. Alors on grandit ensemble en traversant des événements exceptionnels.
La démarche Design Thinking cherche à comprendre tous les enjeux sous-jacents de la problématique, notamment ceux dissimulés, consciemment ou non, par les protagonistes comme les clients. Notre méthode se base sur l’observation et l’écoute, la réalisation d’entretiens semi-directifs afin d’identifier un maximum de paramètres pour imaginer des solutions véritablement pertinentes.
3. Rester à l’écoute pour progresser dans l’incertitude
Quitter notre confort nous permet de progresser dans l’incertitude, au lieu de paniquer…
La vie sur un bateau en mer, plongé dans les éléments, est souvent plus intense que sur le quai d’un port dont le granit a le mérite d’assurer une certaine stabilité. Et elle est souvent plus intense qu’en ville où de nombreux paramètres aléatoires ont été annihilés… La mer nous permet de développer rapidement des aptitudes utiles à terre.
L’intensité de la mer vient de la diversité de ses visages et de sa capacité à passer rapidement de l’un à l’autre. Le plan de la ville, lui, évolue lentement, le sol bitumineux fige la surface des choses, imperturbables aux aléas d’une météo lissée à 24°C dans nos intérieurs conditionnés…
En mer, l’environnement change vite. Dans la même journée, on peut voir plusieurs fois la pluie et le soleil. Chaque nuage modifie le vent, tout comme chaque aspérité de la côte. L’heure de la journée initie également des phénomènes météo et en calme d’autres. Nous devons rester attentifs à ces évolutions constantes et nous adapter afin de continuer à avancer. Adapter le cap, adapter les réglages, adapter la voilure, adapter le parcours.
Tous ces gestes sont concrets, ils nous demandent un effort et nous ressentons leurs effets immédiatement.
Le déplacement vélique a en plus la particularité de ne pas être direct. On ne peut pas avancer face au vent, contre le vent. Alors on tire des bords, on se projète vers l’objectif avec un cap indirect qui nous en rapproche dans un vent oscillant. On évalue régulièrement à quel moment il faudra changer de bord, virer, pour adopter dès que possible un nouveau cap qui, lui non plus, ne sera pas direct vers l’objectif mais nous permettra de faire le minimum de route. Il faudra encore prendre en compte la côte – ces reliefs connus synonymes des plus grands dangers – et les autres bateaux aux intentions incertaines.
Naviguer n’est pas simple, tout comme mener un projet professionnel. Une sortie en mer est un concentré de vie qui nous offre un apprentissage accéléré en rassemblant une multitude de situations sur un temps très court. Elle nous permet d’en faire l’expérience réitérée et de progresser, car, chaque fois, elles ne sont ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres…
Cette progression est d’autant plus efficace que la réitération de l’expérience est forcée. On multiplie les manœuvres pour éviter les obstacles. Lorsque le vent change on adapte les voiles pour conserver une gîte raisonnable, un bateau performant et… un peu de confort [la plaisance n’est-elle pas censée être plaisante ?]. Et parfois, quand la mer se creuse, on change de cap et on prend la fuite.
Avant de partir on étudie la carte et les prévisions météo. On définit une stratégie et l’on s’élance. Sur l’eau, la réalité diffère toujours. Alors on fait attention et on fait évoluer la stratégie et les réglages pour ne pas persévérer aveuglément dans nos erreurs. Tous ces gestes sont concrets, ils nous demandent un effort et nous ressentons leurs effets immédiatement. Leur succession nous fait progresser visiblement vers l’objectif, mais aussi dans notre connaissance des manœuvres et dans notre stratégie. À force de répéter ces manœuvres, de se remémorer les expériences passées, on compare, on améliore et progressivement on apprend à naviguer.
La navigation est l’art d’agir dans l’incertitude
La diversité des situations en mer est infinie. Il ne suffirait pas d’une vie pour toutes les rencontrer, alors ne parlons pas de les maitriser. La navigation à la voile nous demande donc de développer notre capacité à agir en toutes situations, dans l’incertitude, c’est-à-dire quand la situation diffère du plan. À la guerre, le 1er mort c’est le plan.
Savoir agir dans l’incertitude ne signifie pas “savoir toujours quoi faire”, non. Agir en incertitude c’est écouter, évaluer, proposer, mettre en œuvre, puis évaluer de nouveau et recommencer.
Si un incident survient à bord, la réponse ne viendra pas de l’extérieur. Nous devons trouver par nous-même une solution pour rentrer au port. Et nous ne disposons que des cerveaux et des outils que nous avons embarqués. Nous réalisons alors toute la valeur de ces ressources, d’autant plus qu’elles ont la possibilité d’en révéler toute l’étendue.
Certaines personnes qui, à terre, restaient en retrait peuvent alors révéler un nouveau visage. Parce que l’urgence libère des appréhensions, parce que toutes les idées ont de la valeur, et surtout parce nous avons tous conscience qu’il faut agir. On se retrouve alors à imaginer de nouvelles possibilités et on se découvre des ressources insoupçonnées. Assez rapidement on développe cette capacité à agir dans les situations difficiles et on va alors aller au-devant des incidents. Pas pour allez au casse-pipe, non, les bons marins sont en réalité prudents, mais pour mieux avancer.
Un homme d’expérience me racontait un jour : “Avant de vous marier, partez naviguer deux semaines ensemble, et vous saurez”. Ses mots décrivaient une juste réalité. Il n’est pas question de savoir si la personne avec laquelle on s’embarque est la bonne (bonne à quoi d’ailleurs ?), il s’agit de savoir... Partir en mer c’est se plonger dans un concentré de vie, dans une multitude d’événements nous faisant passer par toutes les émotions avec lesquelles il est impossible de mentir. Face à cet inconfort on se montre tel que l’on est vraiment, nos défauts, nos qualités, nos façons d’agir. En mer on révèle la diversité des comportements que l’on sera amené à adopter durant le cheminement incertain de nos existences. Et maintenant que l’on sait, plus de raison de douter, on a les éléments et la méthode pour avancer.
Notre environnement évolue constamment et nous devons rester à l’écoute de ses soubresauts pour ne pas s’égarer. Le navigateur Kévin Escoffier répète régulièrement : “En mer, celui qui gagne c’est celui qui fait le moins d’erreurs”. La complexité dans laquelle nous évoluons nous amène à faire des erreurs, c’est incontournable. Ces erreurs nous font progresser mais il faut être attentif pour réagir rapidement et de ne pas s’y empêtrer.
Le Design Thinking est une méthode qui se base sur l’écoute et la compréhension des besoins des utilisateurs. Ces informations nous permettent de construire rapidement des prototypes pour tester des idées et vérifier si notre stratégie est la bonne. Le processus itératif permet de valider/corriger en même temps que nous développons une solution innovante.
4. Innover
Quitter son confort permet d’innover. Et innover nous fait quitter notre confort…
Que signifie “innover”, terme aujourd’hui si galvaudé ? Innover c’est introduire de la nouveauté. Et il est certain qu’en faisant différemment on perd le confort et la sécurité de la situation connue. Mais dans quel but ? Innover c’est chercher à progresser. Innover c’est imaginer d’autres possibilités, les tester et savoir les abandonner avant de se planter.
Aller au-devant des incidents pour éviter l’accident
Partir en voilier c’est accepter les incidents, ces événements aux conséquences matérielles limitées. On s’y prépare, parfois même on les provoque, pour les comprendre et ainsi éviter les accidents, qui eux peuvent causer des dommages humains. On quitte son confort pour se mettre dans une situation qui risque de générer un incident, et cela nous permet de valider ou non une hypothèse.
À terre ces incidents se produisent aussi. Mais comme on cherche plutôt à les éviter, ils arrivent plus rarement et peuvent prendre d'avantage d’ampleur. C’est l’accident…
À chaque manœuvre, on répète des gestes pour gagner en fluidité, on essaye des variantes pour tenter d’être meilleur, on sollicite le matériel et les personnes, et parfois ça casse. Mais on s’y attend, on y est préparé car l’incident fait partie de la progression. Le temps du bateau a ceci d’intéressant qu’entre chacune de ces multiples manœuvres nous avons une respiration, le bord à tirer est une pause pour souffler et identifier les erreurs à ne pas reproduire.
La réitération des échanges informels délie les langues au profit du groupe
En régate, le moment de la prise de recul collective est quotidien, pour analyser ce qui s’est bien et mal passé. Après chaque course, après chaque journée, on se rassemble – souvent au bistro – pour faire part de nos remarques et permettre à tout l’équipage de progresser. Chacun s’exprime, partage ce qu’il a vu et ressenti, et cela quelques soient son rôle et son ancienneté. Tout le monde reconnait ses erreurs, même les bons skippers. Surtout les bons skippers.
Alors on imagine de nouvelles solutions en croisant les regards, on partage nos ressentis car on se sait écouté par des personnes humbles, on désamorce les conflits avant qu’ils ne s’enveniment, et on progresse ensemble rapidement pour améliorer la performance. Si la concentration d’événements révèle les caractères, la réitération des occasions d’échanges informels délie les langues au profit du groupe.
À terre, les pensées individuelles se retrouvent souvent dissimulées. On ne veut pas déplaire, pas se planter, on ne sait pas comment aborder le sujet, ou on se dit que ça arrivera bien quand ça devra arriver. Alors on ne fait pas remonter les erreurs, on garde pour soi les questions qui fâchent, on dissimule ses pensées.
Et puis ça pète. La réalité apparait… Depuis longtemps on faisait fausse route mais personne n’osait tirer le signal d’alarme. Les conséquences sont alors nombreuses : perte de temps, perte d’argent, perte d’estime réciproque, quand ce n’est pas pire… l’accident.
En entreprise la perception des dangers s’estompent avec la distance au réel, on ne réalise plus les risques que l’on prend alors on ne fait pas l’effort de mettre sur la table des sujets que l’on estime secondaires. La routine et la simplicité apparente du quotidien nous endorment. Ou alors un concurrent nous pousse dans la situation inconfortable du dilemme de l’innovateur : l’environnement nous incite à changer mais nous ne voulons pas risquer de perdre notre position. Mais à la fin la réalité se rappelle à nous et l’accident survient…
C’est au manager de donner l’exemple : faire son auto-critique, organiser quotidiennement des moments d’échanges collectifs et individuels, demander des retours d’expériences, dire ce qui n’a pas marché, essayer des alternatives parallèles à l’activité originelle. C’est entendre les remarques et montrer concrètement qu’on les prend en compte. Si chacun progresse individuellement c’est tout l’équipe qui grandit.
5. Se sentir vivant
Quitter son confort nous permet de nous sentir vivant. Être vivant est inconscient ; se sentir vivant demande des efforts…
La mer nous fait vivre des moments forts. Appréhensions, plaisirs, peurs, joies, beautés… Naviguer c’est récolter de la matière brute dont on fait les souvenirs.
Naviguer c’est d’abord très simple, des sensations primaires, presque animales… Ça bouge, ça pue, ça tire, ça claque, ça fait peur ! Puis se mettre en mouvement, avancer sans un bruit, sur un souffle d’air et ne faire qu’un avec les éléments.
Naviguer c’est avoir un objectif et profiter du chemin
Naviguer c’est un enchevêtrement complexe de notions contradictoires... C’est le temps du rêve, préalable et enivrant, et celui de l’action, sans échappatoire. C’est la décision mûrement réfléchie et celle prise instinctivement, comme une évidence. Naviguer c’est réaliser son insignifiance, équilibristes des abysses perdus dans les étoiles, et se découvrir dans l’adversité des capacités insoupçonnées. C’est prendre conscience de sa chance et la déguster…
Naviguer c’est se projeter vers un but, étudier l’environnement, anticiper, agir, écouter, se questionner, corriger. Naviguer c’est toujours se demander comment faire pour avancer mieux. Savoir attendre aussi, parfois s’ennuyer, ruminer… Naviguer c’est partir contre l’avis de la majorité, quitter la sécurité de la terre, s’initier à des savoirs abstraits pour devenir meilleur, se dépasser soi-même et construire ensemble.
Naviguer c’est avoir un objectif et profiter du chemin. C’est partager le bon comme le mauvais. C’est être sincère et s’offrir aux autres.
Naviguer c’est faire des expériences, de celles qui sollicitent tous les sens et vous font passer par toutes les émotions.
Naviguer c’est vivre…
Vivre… Imaginer. Faire. Et se remémorer… Être dans l’action… Naviguer c’est tout cela. Intensément.
D’abord les récits de navigation des uns qui développent l’imaginaire des autres. Puis chacun fait ses propres projets, on les emmêle pour qu’ils s’enrichissent. Et le jour du départ arrive. Ce sont alors des moments pleins d’une vie intense qui s’égrainent au fil des heures, des semaines, voire des années. Des moments difficiles surmontés ensemble, et des plaisirs simples. Des souvenirs qui marquent pour la vie et laissent au fond du cœur une envie indélébile de repartir, parce que là on a vécu.
En écrivant ces lignes me reviennent les mots de Perdican : “C’est moi qui est vécu et non un être factice créé par mon orgueil et mon ennui”. En naviguant c’est nous qui vivons. Entièrement, sincèrement, vivants.
Dans les lignes qui précèdent pourriez-vous remplacer “Naviguer” par “Travailler” ?
Conclusion
J’aime le confort. Ma tendance spontanée est à fuir les crises pour éviter le conflit, à dissimuler ma vraie nature pour ne pas risquer de déplaire et à faire durer ce qui est pour en profiter. Mais je me suis aussi rendu compte que c’était dans les situations inconfortables que je touchais les vrais sujets, ceux qui nous animent et qui nous impactent. C’est dans cet inconfort que j’ai pris les décisions les plus importantes de ma vie, que je me suis lancé dans des actions qui avaient du sens, et que j’ai construit les meilleures solutions dont je suis encore fier aujourd’hui.
Non, quitter son confort ne signifie pas prendre du plaisir à souffrir.
On quitte son confort pour se débarrasser des œillères et de la morphine qui nous empêchent de percevoir la réalité… Les contraintes qui poussaient les êtres humains à se dépasser sont toujours là, innombrables. Mais nous ne voulons pas les voir car elles nous mènent vers un inconnu qui nous effraie.
Quitter son confort c’est se mettre en mouvement pour se jeter dans l’inconnu.
Se défaire d’un existant défectueux et imaginer de nouvelles possibilités… Accueillir l’autre et découvrir comment ses différences nous enrichissent… Dire les réalités même si l’on craint les réactions pour construire ensemble des solutions… Partir en bateau vers de nouveaux horizons…
L’inconnu nous effraie, mais pourquoi ? Nous sommes doués de mémoire. S’élancer dans l’inconnu c’est envisager tous les possibles forts de nos expériences ! Cet inconnu devrait susciter chez nous de l’enthousiasme et une immense curiosité !
Mais le confort, en revanche, devrait nous effrayer… Ce bien-être matériel contemporain a perdu depuis bien longtemps sa signification originelle : “ce qui nous rend fort”, dans le sens actuel du verbe “réconforter”. Réconforter, ce soutient que l’on donne à l’autre. Le confort, à l’inverse, nous pousse aveuglément dans une quête individualiste d’accumulation qui nous isole.
Pour s’assurer un approvisionnement régulier en nouveaux produits et suivre la trajectoire toute tracée que l’on attend de nous, on se planifie une stabilité financière : contrat à durée indéterminée, revenus sécurisés sur la durée, crédits sur des années, etc. Dans ce cadre, la prise de risque n’est pas acceptable, les marges de manœuvre réduite à leur minimum. On devient sourd aux autres comme à toutes informations susceptibles de faire dérailler notre plan. On ne fréquente que nos semblables qui ne remettront pas en question notre situation. Et si celle-ci ne nous satisfait plus, il n’est pas possible d’envisager d’autres possibilités dont la rentabilité n’est pas assurée. Nous avons un train de vie à assumer… Alors on ferme les yeux.
Le véritable confort est celui que l’on trouve dans la relation avec l’autre. Cette personne qui nous écoute, nous comprend, nous rassure, nous accepte et nous fait grandir, et avec laquelle on est heureux de faire de même. Cette relation nous apporte un réconfort sans commune mesure avec le confort matériel. On trouve ce réconfort auprès de différentes personnes sous différentes formes et il ne coûte souvent pas grand chose. Le confort matériel, quant à lui, fait de nous des prisonniers volontaires. Prisonnier d’un système dont nous sommes spectateurs, d’un travail dont on perd le sens, d’une image que les autres se sont faite de nous.
Quitter c’est décider. Quitter le monde c’est se libérer, reprendre le contrôle et choisir sa propre voie, une voie hors-norme. Quitter son confort c’est prendre conscience de soi, du monde pour mieux partir à sa rencontre. Quitter son confort c’est accepter cette incertitude et se donner la capacité d’agir pour atteindre un objectif, son objectif.
Alors ça demande aussi un plan, un programme vers cet objectif, mais aussi la capacité de le corriger, voire de le changer. C’est sûr que ce n’est pas facile, ça demande des efforts, mais la difficulté donne encore plus de saveurs à nos réussites. Et quand on regarde en arrière, on a la satisfaction d’avoir surmonter les difficultés – peut-être même de graves dangers – et d’être arrivé où nous sommes ensemble, en construisant nous-même la voie de notre choix, pas après pas.
Une citation apocryphe d’Aristote dit qu’« Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer ». Mais… ne faut-il pas avoir conscience de sa mort pour être pleinement vivant ? En mer on trompe la mort, on réalise la valeur de la vie et de ce que l’on a, on comprend ce que l’on veut et on revient les yeux grands ouverts.
Vous n’êtes pas de pures intelligences traitant de l’information. Nous sommes faits de sensations et d’émotions. Nous le savons bien quand on joue avec le danger pour nous sentir vivant : quand nous transgressons les lois, quand nous roulons vite, quand nous jouons de l’argent, quand nous trompons notre partenaire… ou lorsqu’on a vraiment plus la sensation de l’être et que nous cherchons à oublier le présent…
Mettez vous en inconfort. Vous vous sentirez vivant et en tirerez quelques enseignements.
Zomia vous bouscule pour que vous gardiez les yeux ouverts.
PS : Pour paraphraser JFK – dans le plus grand des calmes – je ne me suis pas lancé dans Zomia parce que c’était facile. Je me suis lancé dans Zomia parce que ce sera difficile. Mais une aventure difficile qui nous élèvera, moi, vous peut-être, le plus possible je l’espère. Je n’ai aucune idée du nombre de pas que je ferais mais j’ai un objectif. Et en m’élançant dans cette direction, je sais que je vais apprendre énormément, que je vais grandir et qu’ensemble nous pouvons construire d’autres possibles.
Avec Zomia je vous propose de prendre le large pour garder les yeux ouverts et construire le monde de demain.