Ma 1ère fois en 6.50

La semaine dernière j’ai navigué pour la 1ère fois sur un bateau de course au large, et j’ai dû tout réapprendre !

Le piano [zone où se retrouve la majorité des bouts de réglage] d’Alice,
proto n°346, avec laquelle j’ai eu l’opportunité de naviguer

Un mythe qui devient réalité

Les Mini 6.50 sont les plus petits bateaux de course au large mais ils ont de grandes ambitions. Comme leur nom l’indique ils font 6,50m, ce qui n’est pas bien grand pour affronter les océans ! Imagine une zone de vie d’à peine plus d’1m3… Mais toutes les innovations sont permises ! Ils sont comme les bateaux du Vendée Globe mais en 3x plus petits, et parfois plus fous !

À l’origine, dans les années 70, les « Ministes » étaient une bande de doux dingues qui voulaient traverser l’Atlantique avec le minimum de moyens. Aujourd’hui la course existe encore et c’est devenu la fameuse MiniTransat ! 
Rassemblant majoritairement des amateurs, ils sont aujourd’hui très nombreux à tenter leur chance. « Faire sa Mini » est une aventure qui change une vie mais c’est aussi une porte d’entrée dans le monde de la course au large. Nombre de marins célèbres sont allés faire leurs armes en Mini.

C’est un ami, Francky, Franck Lauvray, qui m’a proposé de m’embarquer pour un convoyage. J’avais beaucoup entendu parler de ces bateaux mais jamais eu l’occasion de m’y frotter. J’ai donc sauté sur l’opportunité !

Rendez-vous pris à La Turballe, de l’autre côté des marais de Guérande, avec le skipper et Alice, son proto n° 346.

La classe Mini se divise en deux catégories : les bateaux de série, construits à 10 exemplaires identiques minimum, et les prototypes, dont la jauge est bien plus … libre, et les améliorations permanentes !
Ce sont eux, les « proto », qui incarnent l’esprit de la classe. En permettant toutes les excentricités, ils constituent le laboratoire d’innovations de la course au large. Les quilles pendulaires ou les étraves rondes en scow ont été développées ici avant de faire le Vendée.

Alice est donc de « celles-là » – comme diraient nos amis anglais qui ont inventé le yachting et considèrent les bateaux non comme des objets mais des personnalités féminines. Alice est un proto tout en carbone, construit en 2002, que Francky a racheté pour s’aligner sur le circuit et la MiniTransat 2021. Un démâtage et de nombreux enseignements plus tard, le binôme est de nouveau en piste pour la Mini 2023
D’ailleurs, ils cherchent encore des partenaires pour le départ en septembre, si vous voulez prendre part à une aventure humaine qui met en avant la performance et la résilience c’est par ici 😉

D’ici-là, il faut s’entrainer et fiabiliser le matériel. Tous les WE du skipper y passent. Les bateaux sont tout petits mais les réglages innombrables. « C’est simple, tu peux tout régler. »
La liste des préparatifs est donc sans fin… Ce sera pour moi une journée de matelotage en guise de mise en bouche : nettoyage de la coque à l’éponge – hors de l’eau, changement de pièces abîmées, installation d’un renfort de panneau solaire, soudure des circuits électriques de tous les instruments aériens… Alice est un bateau de course et demande beaucoup d’attentions.

Finalement, après un grutage au crépuscule, un dîner tardif et une sieste rapide, nous prenons la mer au milieu de la nuit. 3h00 du matin, cap sur Douarnenez. Francky et Alice y prendront le départ de plusieurs courses dans les jours qui viennent.

Je n’avais aucune idée de la réalité du Mini avant d’en faire

Et zéééé partie pour La Turballe - Douarnenez en Mini !
Au programme : 130 milles (environ 240km) le long des côtes bretonnes, le passage du Raz de Sein et ses courants diaboliques, et le vent dans le pif tout du long. Avec la mer qui va avec, sur un bateau de 6.50m, ça a son importance !

D’abord repartir de 0

Alice est un bateau dont je ne connais rien et que je n’ose pas toucher. C’est d’une telle complexité ! Chaque paramètre que Francky voulait modifier est accessible, « réglages 3D » comme il dit. Il a même un temps imaginé barrer avec les pieds…
Evidemment, comme il connait tout par cœur rien n’est écrit, et je n’ose pas prendre d’initiative… de crainte de faire tomber le mât ! En terme d’ergonomie on repassera, mais j’enlève ma casquette de designer pour le moment.
Embarquer avec eux m’a permis de retrouver une place que j’affectionne : celle de l’apprenant, à l’écoute, qui regarde et cherche à comprendre en mettant de côté ce qu’il sait.

Oui, Alice est un bateau unique avec son propre mode d’emploi. Mais c’est avant tout un bateau de course, et elle offre une finesse de réglage tout bonnement extraordinaire ! 

J’ai beau skipper en croisière depuis des années, avoir été moniteur de voile et équipier sur de nombreux bateaux de régate, j’ai l’impression de redécouvrir la voile ! Ça fonctionne pareil mais avec une strate de complexité en plus. Ça met une barrière à l’entrée mais ça offre de nouvelles possibilités d’optimisation. Et j’ai un expert pour m’initier !

J’ai rencontré Francky à l’époque où l’on naviguait sur France, 12MJI – 1er bateau français sur la Coupe de l’America, j’étais novice quand lui avait déjà un CV impressionnant. Depuis, il a encore gagné en expérience. Et, contrairement à beaucoup de Ministes qui entament leur carrière nautique, pour Francky c’est plutôt un aboutissement : le 6.50 c’est la possibilité de faire un/du bateau comme il l’entend.

Alors je me tais, j’ouvre grand mes yeux et mes oreilles, et j’écoute mes sensations.

Le cockpit d’Alice, dans lequel je peux étendre mes jambes quand je suis adossé au franc-bord, et pourtant je ne suis pas grand… Imaginez Francky et ses presque 2m !
Le jour à droite c’est la “porte d’entrée”…
😋

Ensuite l’inconfort

Les premières heures de nav’ c’est l’inconfort. Je ne sais pas faire. La mer tape. Je n’arrive pas à dormir.

Dès la sortie du port, Francky m’a mis à la barre. On navigue en faux solo, je joue le pilote automatique de luxe (c’est à dire que je tiens la barre) et puis c’est tout. Mais en même temps, je ne pourrais rien faire d’autre…
Malgré mon expérience, je me suis demandé à plusieurs reprises comment je ferais pour nous ramener à bon port s’il arrivait quelque chose à Francky… C’est pas pour rien qu’on est tout le temps accroché.

On voit parfois le barreur comme LE poste prestigieux sur un bateau. Evidemment, c’est lui qui, vu de l’extérieur, tient les commandes. Mais c’est un job comme les autres. Important, certes, mais autant que les autres. Et j’aurais voulu (!) m’essayer à tous les autres, c’est mon côté touche-à-tout et non spécialiste. Ça m’a conduit vers le rôle d’équipier pompier (potentiellement sur tous les feux).
Mais je ne connaissais pas, alors j’ai commencé par faire mes gammes. Après la plonge (cf. le lavage de la coque), la barre. Face au vent. Et donc aux vagues. Au début je me suis dit que le Mini c’était pas toujours aussi marrant que les folles vidéos sous spi… Mais j’ai persévéré. Pas le choix d’ailleurs, le capitaine récupérait et on avait toute la route à faire. C’est bien, parfois, de ne pas avoir le choix…
Alors j’ai approfondi la barre, pour découvrir l’équilibre du bateau, découvrir comment il fonctionne, comment Alice passe les vagues, à quelle vitesse elle s’envole pour grimper au vent. Et j’ai commencé à comprendre.

Et le sommeil qui ne vient pas

Les premières 24h, ce fut impossible pour moi de dormir. Ce n’était pas l’envie qui manquait pourtant, l’heure de sieste pré-départ ne rivalisait pas avec mes 8h de coma quotidien. Non, je n’arrivais pas à m’adapter au mouvement…

Un Mini 6.50 au près, dans une houle courte, ça bouge, beaucoup. Et ça tape. Impossible de lâcher prise pour tomber dans les bras de Morphée… 1ère tentative, échec. La 2ème, pas mieux… Alors je continue de barrer. Les gestes se grippent un peu, l’énergie disparait mais le cerveau semble tourner rond. Parfois je me demande quand même si je ne prends pas une vague pour un dauphin, mais ils sont si nombreux…

C’est finalement au milieu de la 2nde nuit, après avoir barré 3h à l’aveugle et commencé à comprendre le caractère d’Alice, que le sommeil s’est fait sentir. Le sentiment du devoir accompli ? 
Je réveille Francky, le préviens de l’ouverture d’une « porte du sommeil » et de l’extinction de l’ordinateur de bord. Pour ce dernier c’est plus sérieux que je ne pensais et il sort le fer à souder… 

As-tu déjà réalisé une soudure ? Tu vois la précision que ça demande ? Imagine maintenant de refaire les soudures d’une carte électronique au saut du lit (enfin, du pouf), à la frontale, dans un bateau penché, et qui tape – malgré tous mes efforts… C’est pour ce genre de situation que la Mini est une bonne école. Démerde-toi ! T’as pas le choix, faut trouver des solutions : bien joué Francky !

Après 40min de lutte supplémentaire à la barre, j’ai pu prendre place sur le pouf et j’ai directement sombré dans un délicieux sommeil … de 1h30 !
Au bout d’un cycle, je me réveille tout seul, en forme. C’est ce dont j’avais besoin. Pendant ce temps Francky a réussi à attraper de justesse le passage à niveau du Raz de Sein, 3nds de courant qui nous embarque dans le bon sens. Mais sans l’adonnante du milieu de nuit on aurait dû attendre la prochaine marée. 12h plus tard… 

Maintenant on a une idée de notre horaire d’arrivée, qu’il n’était pas possible de prévoir à l’avance. En bateau, on sait quand on part, pas vraiment quand on arrive…
On va pouvoir se mettre en quête d’un trajet retour vers nos maisons respectives, une autre aventure en perspective pour ce we à rallonge.

Il me donne le cap, me rends la barre et retourne dormir, le plus compliqué est passé. Au bout de 3h, on échange. Je crois que je prends le rythme.

Francky lors de notre bord le plus “débridé” [le moins face au vent] en arrivant sur Douarnenez.

L’heure du bilan

Dernier bord vers Douarnenez alors que le soleil irradie une mer réservée. Mes pensées dérivent et je commence à prendre du recul.
Le Mini 6.50 c’est dur… Comme lorsque l’on accepte de remettre en question ce que l’on sait pour partir explorer des domaines que l’on ne connait pas.
Mais le Mini 6.50 c’est fou ! Un bateau exceptionnel – et complètement surtoilé – pour découvrir des réglages fins à transposer sur d’autres supports (encore cette histoire d’aller chercher des solutions ailleurs). Ce fut aussi pour moi l’occasion d’exercer ma proprioception (sens de l’équilibre), d’expérimenter le sommeil fractionné et d’en apprendre un peu plus sur moi.

Ce convoyage m’a permis de prendre conscience des réalités de se lancer dans l’aventure Mini 6.50. Et ça demande un engagement total ! N’est pas pas Ministe qui veut.

Mais pas de bord de portant [la spécialité des Minis], il faudra que je revienne. 

Affaire à suivre…

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