Heureux qui comme Ulysse (4/4)
Ce que j’en retiens…
“Heureux qui comme Ulysse a fait un beau un beau voyage, ou comme cestuy-là qui conquit la toison, et puis s’en est allé, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge…”
Ces vers de Joachim du Bellay me reviennent alors que nous prenions la direction de la maison, une évidence après un confinement marin qui fut l’occasion de me replonger dans la mythologie gréco-romaine. Ce poème fait le bilan d’un voyage, il vient le temps de faire le mien…
J’ai fait un beau voyage, plus long que prévu, plus court qu’espérer. Et si ce voyage ne fut pas ce que j’envisageais, il m’a apporté davantage que je ne l’imaginais.
Tout d’abord, j’ai atteint le graal de ma petite carrière de navigateur amateur : traverser l’Atlantique. J’ai même eu la chance de le faire dans les deux sens. Aller, retour. La première traversée pour découvrir et se confronter, la seconde pour mettre en œuvre. Et la plus difficile ne fut pas celle qui devait l’être. Mais on s’habitue à tout, et lorsqu’on atteint un objectif on en conçoit de nouveaux Everest, toujours, c’est ce qui nous pousse en avant.
Alors je coche la case « Transat » mais ce n’est qu’un élément de ce voyage.
Je suis parti pour faire l’expérience du saut dans l’inconnu, pour lâcher prise et accepter de rencontrer l’inattendu. Pour voir aussi comment ça peut être autrement. Et si on rapporte souvent de ces voyages quelques photos, je peux y ajouter des textes et quelques enseignements (j’ai collecté mes pensées sur le Instagram @objectiftransats)
Ce confinement forcé a bousculé tout le monde intimement. Ma balade également m’a ouvert les yeux sur moi-même.
J’ai besoin d’apprendre. Découvrir, comprendre, m’enrichir, de faire grâce à la connaissance acquise, partagée, transmise, construite.
J’ai besoin de rencontrer des gens. Pour apprendre, pour partager, me confronter et construire ma pensée, pour me remettre en question, souffrir parfois, exulter ensemble, s’embrasser, pour vivre.
J’ai besoin de faire. Pas uniquement d’évoluer en théories. Voir s’incarner notre travail, constater le fruit de nos efforts.
J’ai besoin de porter la responsabilité. On me reprochait de me désinvestir, j’ai réalisé que c’était inévitable quand je me sentais dépossédé de mon rôle. Être acteur et assumer les conséquences plutôt que spectateur.
Je me suis découvert la passion de la construction de solutions. C’est évident, c’était partout, j’avais juste besoin de le réaliser.
Ce voyage m’a également fait évoluer.
J’ai découvert la richesse du lâcher prise, l’intention pas complètement formalisée qui va s’enrichir sans commune mesure au contact de l’inattendu. Merci le bateau, merci Marc, merci Suzette et Joceline, merci Gaël et tous les autres.
J’ai appris à reconnaître mes erreurs et ma mauvaise foi, ravaler un ego mal placé avant que la situation ne se détériore.
J’ai arrêté de fumer, quitté cette tétine rassurante qui, je le croyais, me donnait une présence alors que ce n’était que de la fumée.
Je me suis mis à écrire, moi qui n’aimais que lire. J’ai appris à me livrer, à formuler ma pensée, et à garder une trace.
Ce fut également six mois jalonnés d’événements. J’ai passé 22 jours coupé du monde ; j’ai nagé avec des dauphins et été escorté par un baleineau ; j’ai appris de personnes que je ne pensais jamais rencontrer ; j’ai fait une arrivée de port à la voile de nuit ; j’ai découvert des îles, des villes ; j’ai refait le monde avec des gens qui avaient trois fois mon âge ou à peine la moitié ; j’ai découvert dans le soleil levant un parc d’attraction endormi au sommet d’une montagne ; j’ai vécu loin de ma famille et de mes amis mais j’ai fêté la nouvelle année avec toute une ville ; j’ai perdu des proches et j’en ai rapproché d’autre… J’avais imaginé des choses et de toutes autres se sont déroulées…
Mon odyssée prend fin en publiant ces dernières notes et j’ai beaucoup de mal à y mettre un terme… Me voilà de retour parmi mes pairs avec quelques enseignements en plus pour vivre le reste de mon âge. Je suis revenu de nombreuses fois sur ces lignes et il arrive le moment d’y porter le point final.
Petit j’ai découvert la mer, un peu par moi-même et beaucoup par les récits des autres. Milieu hostile mais propice à la rêverie, l’une des dernières véritables aventures, confronté aux éléments. Je voulais traverser l’Atlantique. J’ai passé quinze ans à en rêver, à me former, à expérimenter. Puis je me suis lancé…
Écoute, rêve, réalise ; plus que jamais.
PS : La 1ère version de ce texte a été publiée le 15 juin 2006, quelques jours après mon arrivée en Bretagne. Les réflexions qui ont accompagné ce voyage sont à retrouver sur Instagram : @objectiftransats.