Affaire Crémer : Quand la voile illustre malheureusement la place des femmes dans notre société

Clarisse Crémer sous les couleurs de Banque Populaire. Crédit : Moritz Thibaud/ABACA

Si la navigation a beaucoup à nous apprendre sur le monde de l’entreprise, l’histoire de cette semaine montre que l’inverse est vrai également : le monde de la voile professionnelle fonctionne malheureusement encore souvent avec les mêmes biais que nos entreprises, et les femmes en font les frais…

L’événement

Clarisse Crémer qui préparait le Vendée Globe 2024 vient d’être débarquée par son sponsor Banque Populaire suite à sa grossesse

Le contexte

Clarisse Crémer est une navigatrice professionnelle qui s’est révélée lors de la mini-Transat 2017, une course transatlantique réalisée sur des mini-bateaux de 6,50m. Après une campagne très médiatisée de démarchage qui fait découvrir cette discipline au grand public, elle fini 2ème de l’épreuve sur 55 concurrents, hommes et femmes confondus. Clarisse apporte une énergie nouvelle et touche un large public de non-initiés tout en démontrant avec la manière qu’elle a sa place sur l’eau. Banque Populaire flaire l’aubaine et lui propose le graal des coureurs au large : prendre part au Vendée Globe 2020. Opportunisme partagé, la navigatrice n’en finit pas moins à la 12ème place pour sa 1ère participation, 1ère femme et recordwoman de l’épreuve. Banque Populaire signe avec elle pour une 2nde édition en rachetant le bateau le plus performant du plateau. Tout le monde avait hâte de connaître la suite de l’histoire. Mais ça c’était jusqu’à jeudi dernier…

Les faits

Clarisse Crémer annonce le 02 février 2023 sur ses réseaux que "Banque Populaire décide de [la] laisser à quai" car sa maternité “représente pour eux un « risque » [de ne pas être présent au départ du prochain Vendée Globe] qu’ils ne souhaitent finalement pas courir.” La navigatrice explique avoir fait part de ses intentions de maternité dès 2021, avant cet engagement réciproque. Banque Populaire répond être "contraint de changer de skipper” en raison des règles imposées par l’organisation du Vendée Globe.

Si on veut être précis

La nouvelle règle dit que seront retenus pour participer au prochain Vendée Globe les skippers ayant fait le plus de milles si – et ce “si” est important – il y a plus de 40 candidats au départ. L’organisation se réservant également le droit d’accorder une Wild card à un skipper de son choix. Nombreux estimaient que cette invitation spéciale reviendrait à Clarisse Crémer, si elle n’était pas en mesure de justifier d’un nombre de milles suffisant – vue sa contribution à la notoriété de l’épreuve et de la voile. La direction de course déclare ne pouvoir lui attribuer aujourd’hui car les 40 places disponibles sont loin d’être prises.

Ce que cette histoire dit de nous

La voile est un sport ambigu qui offre à la fois une visibilité considérable aux sponsors (les équipes et les bateaux sont désignés du nom de leur partenaire principal) tout en mettant en avant des aventures humaines allant au-delà de la performance pure. Le dernier Vendée Globe s’est élancé durant le 2ème confinement soufflant un vent de liberté sur un monde verrouillé, le public se prenant alors de passion pour ces “fous” qui partaient en faire le tour tout seul pendant 3 mois. La voile est l’un des rares sport à voir hommes et femmes côte-à-côte sur la même ligne de départ, en alliant réflexion et sensation, performance technique et instinct, force mental et ruse, audace et humilité. Mais l’Affaire Crémer montre que derrière ces belles paroles une femme ne peut être considéré à égalité avec un homme que si elle se comporte comme un homme. Même performance, même disponibilité. Donc pas de grossesse vue comme du temps perdu à ne pas naviguer. Pas de prise de risque. Ce sponsor qui avait mis Clarisse en avant car elle était une femme, l’abandonne pour la même raison. Alors qu’ils écrivaient ensemble une belle histoire depuis plusieurs années, alors que le défi d’être sélectionné pour le prochain Vendée était l’occasion de faire parler d’eux en amont de l’épreuve (ce qui reste l’objectif d’un sponsor…), alors que fonder une famille est une expérience riche d’une foule d’enseignements, Banque Populaire a préféré l’optimisation du risque. L’objectif de Banque Populaire est d’être présent à tous prix au prochain Vendée Globe. Coûte que coûte.

Déso Clacla, en fait fallait pas tomber enceinte…

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